« Nous sommes à bout »

Dans l'indifférence quasi-générale, la situation stagne, s'enlise même. Alors bien sûr, il n'y a rien de nouveau. Sauf peut-être le fait que deux hommes de 56 et 53 ans sombrent chaque jour un peu plus dans la misère (sur) vivant en mangeant de l'eau sucrée et du pain dur pour seul repas. « Quelquefois, des gens nous apportent de la nourriture », commence André la voix tremblante « cela nous fait évidemment plaisir mais ça nous détruit aussi ». « La mendicité, ça rabaisse plus bas que terre », ajoute d'ailleurs son frère Pierre avant de remonter sur son tracteur « pour aller nourrir les vaches ».

Et pourtant, André et Pierre croyaient vraiment avoir tout vécu. Mais c'était sans compter sur leur bonne étoile si défaillante. Une plainte vient en effet d'arriver chez eux suspectant une pollution de la rivière. Une ultime bataille qui semble avoir raison d'André, l'aîné : « nous ne jetons pas notre lait dans la rivière, elle est à plus de cent mètres de la laiterie ! Vous nous imaginez faire matin et soir des allers et retours ? C'est dans la mare à purin que nous le jetons, il n'y a donc aucun risque de contamination », répète-t-il à plusieurs reprises avant de s'excuser de « l'état de délabrement des lieux ». Un énième coup du sort pour les deux hommes qui se démènent depuis une quinzaine d'années dans un imbroglio judiciaire avec leurs propriétaires.

Dans sa maison où un vieux poêle à bois enfume les mûrs jaunis par l'humidité, le quinquagénaire relate alors inlassablement son histoire. Celle d'une vie de misère qui semble avoir raison de lui. « Après tant d'années d'injustice, nous sommes à bout de force ». A un mois de Noël, André et Pierre Courrier se préparent à vivre des fêtes sans joies et sans famille. Une fois de plus, les deux hommes regarderont de loin ce monde qui festoie sans prendre part à l'allégresse générale.

Mais jusqu'à quand le sort s'acharnera-t-il sur eux ? C'est la question qui traverse l'esprit des rares visiteurs osant franchir les portes délabrées des maisons de Pierre et André Courrier. »

MARIE PAINBLANC-LESOBRE